« SUSCITER L’ENVIE »

  • Texte de Marc Botineau
    Conseil n°21
    "Penser l'Architecture"
    Mai 2016

Comment favoriser la qualité de la commande? On pourrait tenter d’y répondre par la nécessité de faire naître en préalable un désir d’architecture là où il n’existe pas encore, de susciter l’envie. Une envie qui porte, stimule la curiosité et la volonté de (bien) faire. D’envie, les élus du département dans lequel j’interviens n’en manqueraient pas si elle n’était pas trop souvent mise au point mort, anesthésiée devant les difficultés administratives, les subventions qui s’amenuisent et un sentiment d’abandon qui gagne les petites communes. Les opérations d’aménagement s’en ressentent : on utilise  les recettes bien éprouvées de ce qui a contribué au développement souvent anarchique de l’espace périurbain et rural des ces dernières années. Sans chercher à comprendre un territoire de manière globale, on pare au plus pressé et les projets se font au coup par coup, un urbanisme à la parcelle et à la vue souvent trop courte. Devant la difficulté d’intervenir en amont sur les différents sujets qui nous sont soumis, nous avons cherché avec Anne Maguéro, paysagiste-conseil avec laquelle j’interviens en Mayenne, à faire émerger des projets par l’expérience concrète du terrain, des projets modestes, mais que l’on puisse accompagner jusqu’à leur terme.

Comment servir de déclencheur pour éveiller un désir d’architecture, de paysage, provoquer une étincelle pour qu’élus et habitants puissent regarder leur commune avec un œil neuf, porteur de projets et d’envies renouvelées? En 2014, nous avons noué un partenariat avec l’Ecole d’architecture de Paris-Belleville pour faire participer une douzaine d’étudiants à un atelier prospectif et intensif en milieu rural. Plongés en immersion dans un site pour le questionner et répartis en 6 binômes, ils doivent s’emparer de la globalité d’un bourg pour en faire émerger des problématiques, choisir ensuite un lieu d’intervention précis et le mettre en relation avec le travail des autres groupes. IL s’agit de démontrer à nos interlocuteurs que l’aménagement d’une commune procède avant tout d’une vision d’ensemble, qu’un projet d’aménagement peut s’aborder d’un point de vue sensible, du point de vue du paysage, de la topographie, de l »hydrographie, du patrimoine bâti… A la grande surprise d’élus plus habitués à voir des professionnels du découpage parcellaire leur présenter des propositions génériques sorties de tout contexte, on assiste ici à une profusion de croquis, maquettes, photos, textes. Tout est bon pour traduire la poésie d’un lieu, révéler des trésors cachés : la proximité inexploitée d’un étang, une vue vers le bocage à mettre en valeur, un vide à respecter entre le bourg et un petit hameau…

Cet atelier fut l’occasion pour ces étudiants de rencontrer un monde qui leur est souvent inconnu : paysage et architecture rurale, élus et habitants des bourgs, services déconcentrés et conseils de l’Etat. Peut-être une manière de donner envie à de futurs architectes de s’intéresser de plus près aux questions passionnantes que soulève la transformation des territoires ruraux. A l’heure où un projet de loi laisse entrevoir un possible retour des architectes dans la conception de projets de lotissements, la question est plus que jamais d’actualité. Un atelier pour interroger un lieu, susciter chez des élus l’envie de s’emparer de certaines problématiques pour les développer par la suite. Prendre le temps de réfléchir aux potentialités d’extensions ou de densification, de transformations ou de renouvellement, pour éviter la fuite en avant à laquelle on assiste trop souvent, ce besoin malheureusement bien compréhensible d’anticiper la demande dans l’urgence  pour ne pas risquer la fermeture de l’école, de l’épicerie du centre-bourg, et parfois même, pour « passer » avant que les PLU et SCOT ne viennent réduire les droits à bâtir de certains.

Le choix de la commune s’est avéré crucial, nous l’avons appris à nos dépens. La première session du workshop, si elle a donné lieu à des hypothèses intéressantes, n’a pas permis d’envisager une suite, le maire se montrant peu enclin à sortir de ces schémas habituels. La deuxième année, nous avons donc choisi la commune en tenant compte également de la motivation de ses élus. Le maire s’est d’ailleurs montré très présent tout au long de cette session pour répondre aux interrogations des étudiants et a été très réceptif à leurs propositions, souvent inattendues pour lui. Deux enseignants de l’Ecole, Gael Huitorel et Alexandre Morais, encadrent cet atelier en organisant un travail d’analyse préalable (cartographique, création de maquettes…) puis en accompagnant les étudiants pendant la semaine consacrée au travail sur site. Nous intervenons tour à tour avec Anne auprès de chacun des binômes formés pour l’occasion. L’accent est mis à chaque session sur une thématique particulière : extensions urbaines la première année, transformation des zones d’activités la seconde. Le travail des étudiants fait ensuite l’objet d’un jury puis d’une exposition itinérante : une première étape à l’Ecole, puis à la mairie de la commune où le travail est présenté devant les élus et le préfet. C’est l’occasion pour nous de rassembler les maires des communes avoisinantes. L’après-midi est consacré aux échanges entre étudiants et habitants, le moment sans doute le plus réjouissant. L’exposition se déplace ensuite à la DDT puis à la Communauté de Communes. La dernière étape importantes est celle du travail à venir avec les élus, pour donner une suite concrète à ces réflexions. Il s’agit de cibler les thématiques qui les ont intéressés pour les développer.

Le deuxième atelier à permis de faire émerger plusieurs propositions qui ont retenu l’attention des élus, notamment un projet de logements intermédiaires sur une parcelle enclavée à l’entrée nord du bourg, ainsi qu’une petite friche au sud d’un vieux hangar à l’abandon que les élus ne voyaient plus à force de passer devant. Ils se sont finalement décidés à l’acheter à l’issue du workshop, ainsi que deux parcelles avoisinantes. Ce foncier libéré va permettre la réhabilitation du hangar pour créer un petit équipement et mutualiser différents programmes : espace de motricité pour les enfants, salle de jeux pour les personnes âgées, club de musique… Comme l’avaient proposé les étudiants, l’entrée du bourg, surdimensionnée, sera repensée pour lui donner un nouveau profil, le trottoir élargi pour créer un parvis devant l’équipement, une opportunité pour un nouvel accès à l’école et et au terrain de football juste derrière et peut-être même quelques logements. Bref un véritable projet qui, malgré sa taille modeste, permet de résoudre à différentes échelles des problématiques architecturales, urbaines et paysagères. Associer des étudiants à un travail sur le terrain nous permet de faire chaque année un petit pas de côté dans nos vacations, un intervention rapide et légère, qui a l’intérêt de porter ses fruits assez rapidement. Nous espérons maintenant poursuivre l’aventure et enclencher avec une consultations en bonne et due forme sur ce premier projet. Nous avons l’intention de renouveler ces expériences concrète sur le terrain chaque année, et la troisième session et d’ailleurs actuellement en préparation. Poursuivre ces tentatives pour permettre de montrer à quelques élus et agents de la DDT concernés la nécessité de replacer la notion de projet au cœur des réflexions sur le devenir d’une commune, d’un territoire. Quelques petites graines semées ici et là, pour éveiller une curiosité, une envie de bien faire.
Affaire à suivre donc…