« MUTATIS MUTANDIS »

  • Texte de Bita Azimi
    "Dix"
    Annuel 2014/2015 de l'Ecole d'Architecture de Versailles
    Janvier 2016

Voici les personnages qui sont là et qui attendent. Ils doivent jouer ce soir. Il y a Maximus, homme courageux et renfermé, gladiateur prêt au combat. Il y a le jeune Eudes qui vole les marchands dans la cité moyenâgeuse. Il y a Carmen, au concert rock un beau soir d’été. Il y a Cosmo qui va être engagé dans la firme Arelate, fer de lance d’une ville entièrement privatisée. Il y a XXX2R6 qui se promène avec son grand-père dans une métropole post-apocalyptique.

Chapitre 1 : Du pain et des jeux

Maximus est assis sur un banc, dans le sombre boyau qui mène à l’arène ; il a pris sa tête entre ses mains et se concentre. Par la galerie, il entend la rumeur de la plèbe qui enfle. A l’autre bout, la lumière s’engouffre en contre-jour assourdissant. Les préparateurs se dépêchent pour nettoyer la scène des restes tragiques. Depuis les entrées périphériques, la foule se presse dans les gradins. Le gouverneur de la province se lève, car il va lancer la prochaine épreuve. La lumière est intense au cœur de l’ellipse. L’enceinte, faite de pierre et de briques, est peinte de couleurs vives, presque agressives. Il ne faudra pas perdre ce combat.

Chapitre 2 : Jour de marché

Dès qu’il put s’emparer de son petit larcin, Eudes se mit à courir, depuis la place du marché, dont la géométrie elliptique avait gardé l’épure des arènes. Poursuivi par la maréchaussée dans le labyrinthe des rues sombres, il détale en suivant les venelles courbes, puis monte des calades, abruptes. Les maisons collées les unes aux autres ont peu à peu colonisé la structure déchue de l’amphithéâtre/ Le chapardeur grimpe sur des toitures de pierres et de tuiles, qui se sont nourries de la matière existante et se sont incrustée dans le squelette de calcaire.

Chapitre 3 : Fête d’été

En cette fin du mois d’Août, la température est encore intense. Carmen et ses amis ont longé les rives du Rhône puis sont tranquillement montés vers le monument. Le dégagement est vaste autour de l’amphithéâtre tout blanc et immaculé ; une foule tranquille et gaie profite des derniers rayons de soleil qui passent par les portiques évidés, soulignant ainsi la beauté sculpturale de la ruine devenue lieu événementiel. Ils vont bientôt rejoindre les gradins de bois où, à la belle étoile, ils vont écouter le concert. Ils font face à l’une des entrées. alors que le crépuscule embrasse le ciel, des hommes arrivent et tirent, Carmen sans un bruit, s’effondre sur elle même…

Chapitre 4 : La ville privée

L’hydroglisseur déposé Cosmo au quai ; depuis la montée des eaux, Arles était redevenue un port sur la méditerranée et la Camargue n’était plus qu’un vague souvenir, noyé. Dans la navette qui conduisait en haut de la ville, il était à la fois fier et angoissé de débuter cette première journée à la firme. Depuis que l’Etat s’était délesté de son patrimoine, les compagnies privées avaient saisie l’occasion de s’installer dans les monuments désormais à la vente. L’amphithéâtre avait été mis sous une sorte de cloche de verre qui recréait un milieu idéal, tempéré et parfumé. La ruine antique étai alors devenue un lieu de tous les possibles, dans lequel les espaces de co-working étaient disséminés sur les gradins, dans les galeries voûtées, entre les arcs plein-cintre. Cosmo leva la tête vers l’immense pont qui le surplombait. La voie de TTGV (train à très grande vitesse privé) ne se gênait pas pour l’enjamber et desservir la nouvelle gare et son centre commercial.

Chapitre 5 : le temps d’après 

XXX2R6 tenait la main de son grand-père XXX2R2 lorsqu’il l’interrogeât.  » Peppaï, pourquoi ils ont extruit du sol les gentils terre-ciels en rond? » Le vieillard se gratta la barbe, en regardant les hypercondominions aux formes courbes, car il se souvenait vaguement que, dans les temps anciens, en ce lieu, il y avait eu un bâtiment encore plus ancien, qu’on avait longtemps conservé. Il devait sans doute être important, mais il ne savait plus a quoi il avait bien pu servir. Depuis ce jour où tout à basculé, lentement, le nouvel ordre a fait reconstruire sur les débris d’avant. Ils regardèrent le grand vide elliptique, puis le traversèrent au cœur de l’hyper densité apaisée.

La conductibilité de la mémoire existe-t-elle par la transformation ou par la conservation? Paradoxe infini… Se transformer implacablement et même s’effacer. C’est pas la transfiguration de la matière existante que renaît l’espace contemporain.
transgression, Transmission, Transcendance.